Nutrition, Santé

Les laitages : allergies, intolérances… Le point sur la question chez l’enfant

Extrait de l’ouvrage « Rhume, otites, rhino-pharyngites… chez l’enfant » d’Hélène Ferran, publié aux éditions Grancher (pages 65-70)

Voilà un sujet qui déchaîne les passions et fait couler beaucoup d’encre ! L’idée n’est pas ici de diaboliser le lait, mais de bien comprendre de quoi on parle car il y a aussi beaucoup de confusions à ce sujet.

Tous les laits ne se valent paslivre-helene-ferran-orl-grancher

Tout d’abord, il y a lait et lait, et il est clair que le lait UHT d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec le lait de ferme d’autrefois, ni même avec le lait UHT d’il y a 30 ans car le processus de stérilisation est devenu beaucoup plus puissant… Ainsi, si l’on fait le choix de consommer du lait, mieux vaut en consommer du vrai et du bon, donc issu de l’agriculture biologique pour s’assurer que les vaches qui l’ont produit n’ont pas mangé ce que vous n’oseriez pas donner à votre enfant ou que vous n’auriez pas mangé enceinte ou en allaitant. On trouve aujourd’hui en grande surface du lait bio juste pasteurisé qui sera plus intéressant que le lait UHT, ce dernier n’ayant comme intérêt que sa longue conservation (intérêt pratique, mais pas nutritionnel).

Intolérance au lait, allergies, chèvre et brebis plutôt que vache, laits végétaux…

La confusion règne ! Il ne faut pas tout mélanger, en particulier les questions d’intolérance ou d’allergie au lait. La première concerne le lactose, la seconde les protéines du lait, dont les caséines le plus souvent.

L’intolérance au lactose

Le lactose est un sucre présent dans tous les laits de mammifère et, étant un sucre, sa structure est toujours la même : c’est toujours le même lactose, que l’on soit chez la vache, la brebis, la chèvre ou même chez la femme, qui produit un des laits de mammifère les plus riches en lactose. Ce lactose est digéré dans l’intestin par une enzyme, la lactase, qui permet de le décomposer en deux sucres simples : le glucose et le galactose, qui seront ensuite absorbés dans l’intestin. Avec l’âge, la production de lactase diminue jusqu’à devenir quasiment nulle chez tous les mammifères quelque temps après leur sevrage (y compris chez l’homme, dans la plupart des cas). Le lactose ne peut alors plus être digéré, il stagne dans l’intestin, entraînant différents troubles : on parle alors d’intolérance au lactose. S’il est présent en faible quantité, cela peut passer inaperçu et ne pas avoir trop de conséquences. En revanche, s’il est consommé en abondance, ce lactose non digéré pourra donner des ballonnements, des maux de ventre, voire des diarrhées et des inflammations digestives. Dans certains cas, les manifestations ne sont pas digestives, mais plutôt ORL, cutanées (irritations cutanées, plaques sèches, eczéma ou urticaire non allergiques, etc.) ou nerveuses (irritabilité, troubles du sommeil, etc.), ou un peu tout à la fois.

La majeure partie de la population mondiale est concernée (près de 70 % au total) et c’est, en fait, quasiment la norme d’être intolérant au lactose après le sevrage. L’exception concerne surtout les personnes originaires d’Europe du Nord qui ont développé une tolérance au lactose avec maintien de la production de lactase chez l’adulte. Ainsi, 65 à 90 % des Asiatiques et des Africains sont intolérants au lactose, contre seulement 5 à 15 % des Européens1.

C’est dans le lait «brut» (non transformé) qu’on trouvera le plus de lactose. La quantité de lactose diminue fortement dès que le produit laitier a été fermenté, car ce sucre est consommé par les bactéries pendant la fermentation. Ainsi, certaines personnes peuvent être dérangées par un verre de lait, mais pas par un yaourt ou un fromage si la consommation est raisonnable. Inutile de passer au lait de chèvre ou de brebis si l’on est intolérant au lactose : le lactose serait toujours là. Mieux vaut ne consommer alors que des laits fermentés de qualité en quantité modérée et adapter sa consommation en fonction de sa tolérance, voire se passer de lait si nécessaire, tout simplement…

À noter : le lactose est quasiment absent du beurre, tout comme les protéines (à peine 1 %). Quant au beurre clarifié (le ghee de la cuisine indienne), il ne contient plus que des matières grasses, donc aucun lactose ni aucune protéine de lait.

 

Les protéines du lait et les allergies

Le lait est riche en protéines, ces protéines sont variées (lactalbumines, lactoglobulines, caséines…) et plus ou moins abondantes selon l’animal dont le lait est tiré2. Les laits de vache, de chèvre et encore plus de brebis sont particulièrement riches en protéines par rapport au lait de la femme (ils contiennent deux à trois fois plus de protéines). Contrairement aux sucres comme le lactose, il s’agit ici de protéines : elles sont codées génétiquement et donc différentes d’une espèce à une autre. Un peu comme l’hémoglobine de vache diffère de celle de la chèvre ou de l’humain, même si au final la fonction est la même : transporter l’oxygène dans le sang.

Ainsi, ce qui était vrai pour le lactose, identique quelle que soit l’espèce, ne l’est plus pour les protéines du lait. Celles du lait de vache sont particulièrement volumineuses et difficiles à digérer pour le petit d’homme. L’allergie aux protéines de lait de vache est parmi les plus fréquentes chez le petit enfant3. On retrouve en effet dans le lait de vache deux allergènes majeurs : la bêta-lactoglobuline, absente chez la femme, et la caséine A1. C’est une des raisons pour lesquelles de nombreux pédiatres recommandent, lors du sevrage du lait maternel (ou dès la naissance), l’utilisation en transition de laits maternisés dits HA (pour hypoallergéniques) dont les protéines sont déjà partiellement digérées (« hydrolysées »). Le lait de chèvre est également riche en protéines, et le lait de brebis l’est encore plus, mais celles-ci sont bien plus digestes pour l’humain que celles de la vache et posent moins de problèmes d’allergies, même si elles restent possibles (et de plus en plus fréquentes avec l’augmentation de la consommation de ces laits). Dans le cas d’une allergie aux protéines de lait de vache et contrairement au cas des intolérances, où il suffit de diminuer les apports de lactose sans forcément les supprimer totalement, une telle allergie nécessite une éviction totale du produit, quelle que soit sa forme (à l’exception des laits HA pour nourrissons).

Au-delà des problèmes d’allergie, certaines caséines du lait de vache (bêta-caséines A1) sont transformées en bêta-caséomorphines 7 lors de la digestion. Ces substances font partie de la famille des opioïdes (elles sont proches de la morphine) et augmentent la production des mucus respiratoire et digestif4. Elles sont également soupçonnées d’augmenter le risque de diabète de type 15, bien que ces résultats n’aient pas mis en évidence de lien direct de cause à effet et attestent seulement d’une corrélation. Pour les maladies cardio-vasculaires6, une corrélation a également été observée entre leur fréquence dans la population et la consommation de caséine A1. De la même façon, une corrélation a été mise en évidence entre les taux de bêta-caséomorphines 7 et des retards de développement psychomoteur chez le nouveau-né7. Des taux élevés de bêta-caséomorphines 7 ont également été retrouvés chez des enfants sujets aux apnées du sommeil, facteur de risque important pour les morts subites du nourrisson8.

Tout ceci est très anxiogène, mais corrélation ne veut pas dire lien de cause à effet (si l’on vous dit que 80 % des Français dorment en pyjama, cela ne signifie pas pour autant que le pyjama fait dormir…). Toutefois, quand il s’agit de nos enfants, cela invite à une grande prudence. Même en prenant du recul, il est évident que le lait de vache n’est vraiment pas idéal pour l’humain et, dès que l’on peut s’en passer, mieux vaut en choisir un autre. La question reste entière pour les plus petits quand ils ne sont pas allaités au sein : ils ont encore besoin de laits animaux pour leur croissance, et le débat fait rage.

Il ne faut pas pour autant croire que les laits de brebis ou de chèvre sont une panacée.

Même s’ils sont très à la mode depuis quelques années… Certes, leurs protéines sont plus digestes et moins allergisantes, mais ces laits restent trop riches en protéines et ils sont même, parfois, beaucoup plus gras que le lait maternel (c’est le cas du lait de brebis) : ils auront donc eux aussi un effet mucoproducteur. Le lait maternel est le plus adapté à la nutrition du petit enfant, le lait animal s’en rapprochant le plus est le lait de jument ou celui d’ânesse, mais ces laits sont quasiment absents du commerce ou disponibles par des réseaux spécialisés mais à des prix beaucoup plus élevés que pour les autres laits. À noter tout de même certaines initiatives comme la marque « Chevalait » en Normandie qui distribue aujourd’hui du lait bio de jument en poudre ou frais pasteurisé.

Revenons maintenant aux produits laitiers au sens large. En plus du lactose et des protéines du lait, les graisses des produits laitiers ont pour inconvénient de déstabiliser la barrière intestinale et de diminuer son intégrité, facilitant la pénétration d’allergènes ou d’agents infectieux dans l’organisme. Ces graisses favorisent aussi le développement de bactéries opportunistes ou potentiellement pathogènes9.

Chez un enfant qui a passé l’âge du sevrage, il n’y a pas de risque à consommer moins de laitages, voire à s’en passer. En prenant en compte plusieurs facteurs, le Pr Katherine A. Dettwyler, professeur d’anthropologie à l’Université du Texas, estime que l’âge du sevrage chez l’humain se situe entre 2 et 5 ans10. Au-delà de cet âge, la recommandation actuelle de deux à trois produits laitiers par jour semble donc très surévaluée pour un enfant qui mange de façon diversifiée.

 

Voici ce qui peut facilement être mis en place à la maison pour un enfant de plus de 2 ans :

– S’il n’aime pas les laitages, ne pas insister. Il y a beaucoup d’options alternatives, les apports en calcium seront assurés autrement (grâce aux végétaux notamment).

– S’il les aime, miser sur la qualité plutôt que sur la quantité. Quitte à manger des produits laitiers, autant en manger moins, mais de très bonne qualité. On en tirera le meilleur parti avec des laits frais bio tout juste pasteurisés et conservés au froid, des yaourts ou (mieux) du fromage blanc fermiers ou bio et du beurre fermier si possible bio ou de baratte, ou des yaourts enrichis en probiotiques à la rigueur, des fromages frais de brebis ou de chèvre.

Le tout sans excès, c’est-à-dire pas forcément tous les jours, et certainement pas à tous les repas. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de donner à un enfant le même aliment tout au long de la journée, pourquoi le ferions-nous avec les laitages. Il conviendra tout de même de diminuer voire de supprimer la consommation de laitages pendant quelques jours lorsque ce sera nécessaire, lors d’un épisode inflammatoire ou infectieux notamment.

 

  1. Informed Health Online, « Lactose Intolerance : Overview », PubMed Health, 2015 (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmedhealth/PMH0072452/).
  2. Pastuszka R., Barłowska J., Litwińczuk Z., « Allergenicity of Milk of Different Animal Species in Relation to Human Milk », Postepy Higieny i Medycyny Doswiadczalnej, 70, décembre 2016, p. 1451-1459.
  3. Heine R. G. et al., « Lactose Intolerance and Gastrointestinal Cow’s Milk Allergy in Infants and Children – Common Misconceptions Revisited », World Allergy Organization Journal, 10, 41, décembre 2017.
  4. Bartley J., McGlashan S. R., « Does Milk Increase Mucus Production ? », Medical Hypotheses, 74, 4, avril 2010.
  5. Birgisdottir B. E. et al., « Lower Consumption of Cow Milk Protein A1 Beta-Casein at 2 Years of Age, Rather than Consumption among 11- to 14-Year-Old Adolescents, May Explain the Lower Incidence of Type 1 Diabetes in Iceland than in Scandinavia »,  Annals of Nutrition and Metabolism, 50, 3, janvier 2006.
  6. McLachlan C. N., « Beta-Casein A1, Ischaemic Heart Disease Mortality, and Other Illnesses », Medical Hypotheses 56, 2, février 2001.
  7. Kost N. V. et al., « Beta-Casomorphins-7 in Infants on Different Type of Feeding and Different Levels of Psychomotor Development », Peptides, 30, 10, octobre 2009.
  8. Wasilewska J. et al., « The Exogenous Opioid Peptides and DPPIV Serum Activity in Infants with Apnoea Expressed as Apparent Life Threatening Events (ALTE) », Neuropeptides, 45, 3juin 2011.
  9. De Santis S. et al., « Nutritional Keys for Intestinal Barrier Modulation », Frontiers in Immunology, 6, 2décembre 2015.
  10. Dettwyler K. (dir.), Breastfeeding. Biocultural Perspectives, Hawthorne (NY), Aldine de Gruyter, 1995.
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